Fraichement diplômé des beaux-arts de Clermont-Ferrand, ce peintre inspiré transforme les photos de famille ordinaires en portraits de tribus ocellées. Loin des camouflets, vivent les camouflages.
« Du camouflage a découlé le motif » dit simplement ce jeune homme, pour expliquer sa manière particulière de définir les corps, en stigmatisant les ombres jusqu’à ce qu’elles fleurissent, en dilatant les contours afin de les faire chanter. Matières fluides, tons très sourds ou au contraire radicalement artificiels, célébration des lueurs et hommages aux éclats…
Des tissus imprimés et des portraits photographiques trouvés sur internet – plus récemment choisis dans des albums personnels – servent de manivelles à décupler l’imagination. Sensations et intuitions huilent le tout. Et voilà le travail. À plat : les taches de couleur ne coulent pas telles des ruisseaux, elles marinent à la manière d’étangs, provoquant des impressions sourdes et calmes. Anthony Duranthon dit que le « cyanosé » et « l’amniotique » l’intéressent. Et qu’il « aime le dessin lorsqu’il n’est pas net ». Toujours, il cultive l’ambiguïté ; celle des formes et des fonds, des sujets autant que des objets ; des présences et des absences aussi. La patine du temps, quoi. Les abords de la disparition.
Ambiguïté chérie
Une célébration des métamorphoses engendrées par les proximités, voilà ce à quoi nous assistons ici : à un passage en cours, des uniformes aux formes unies. Des êtres plutôt jumeaux et relativement androgynes, figurant en groupes (Les garçons), se serrent. Ce faisant, ils s’impriment mutuellement, se contaminent, se décalquent, jusqu’à ne former qu’un seul et même corps rythmé, digérant les inégalités initiales jusqu’à ce que se profile une seule et même masse, bien scandée. Régurgitant une harmonie provoquée par une lumière sublimée, qui elle aussi colonise les formes, en les douchant. Sur d’autres toiles, une figure bi ou trans sexuelle (Coccinelle ou Bonne maman) se noie dans le fond à pois ou à carreaux devant lequel elle pose, celui-ci arborant le même motif que celui là. Sur des murs aussi, des silhouettes peintes en noir sur un arrière plan noir (Entonnoir) sont quant à elles à peine visibles, tant elles semblent faire corps avec l’ombre complice de lieux illicites. À ces jeux de pêle-mêle, des hordes de curieux caméléons gagnent simultanément en force et en discrétion.
Ni résistance, ni esclavage
Il ne s’agit pas, dans chacune de ces peintures, de formuler des appels à la résistance laborieuse, ni à l’humilité servile, mais d’inviter les présences à se fondre les unes dans les autres, à préférer aux hostilités les complicités. Foin des aquilons et même des zéphyrs, n’en déplaise à Jean de La Fontaine : les êtres comme les lieux figurés semblent tous perméables, tous contagieux. Sur la planète Duranthon les positifs ne prennent pas le pas sur les négatifs, ils leur emboîtent le pas. Et valsent avec eux. Il n’est question que d’épousailles, de complémentarités fructueuses. « Je voudrais faire plus tard un paradis blanc » dit l’artiste, en faisant défiler les grands formats qu’il remise dans son petit appartement, après les avoir peint dans de plus grands espaces, temporairement investis. Tributaire des résidences d’artistes qu’on veut bien lui prêter ici ou là, Anthony Duranthon y prend le temps de laisser mûrir son univers. Exposer à Paris ? Il ne l’a encore jamais fait. En attendant il ménage et aménage les effets, cultive toujours plus subtilement les matités et les reflets. Ceux de l’or, actuellement, qu’il entend bien « dé ringardiser ». Tout comme il pourrait bien faire avec la peinture. Toute la peinture.
Françoise Monnin, 2013.
Texte publié dans la revue Artension n° 123, janvier-février 2014.
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Voir : http://www.artension.fr/anciens-numeros/produit/113/7/anciens-num%C3%A9ros/artension-n%C2%B0-123
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